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Canari [Spectres d’Ange Leccia] (WIP)
Vidéo, muette, 45min42

La plage de Nonza (Capicorsu) est connue pour ses galets noirs issus des pierres rejetées par la mine de Canari, l’une des plus grosses usines d’extraction d’amiante exploitée par la France, et active dans la région jusque dans les années 1960. Découvert en 1898, le gisement a été exploité à son plein potentiel de 1949 à 1965 par une filiale d'Eternit qui, à la date de sa fermeture, occupait 300 personnes. Les installations doivent être démolies à partir de l'automne 2025. Les galets échoueront sur la plage pour former un banc, et, “rincés” par la mer et les années, seraient aujourd’hui inoffensifs. L'inhalation de fibres d'amiante est à l'origine de l'asbestose (fibrose pulmonaire) ; de cancers broncho-pulmonaires, ainsi que de cancers de la plèvre (mésothéliome), de cancers du larynx et des voies digestives10.Pourtant, un projet porté par la société Aurania, immatriculée aux Bermudes, prévoit d’extraire près de 35 000 tonnes de minerai, composées principalement de nickel, de cobalt et de cuivre, avec une présence éventuelle de fragments d’or. Sur le plan financier, le projet pourrait rapporter plus de 450 millions d’euro.

Dans un contexte international tendu autour de l’extraction des ressources naturelles, le groupe politique Nazione, ayant mené une action contre l’exploitation des plages de Nonzu et Albu en janvier 2025, établit un parallèle avec la situation en Kanaky, où les populations natives ont refusé le “pacte nickel”proposé par l’État français, le qualifiant de “pacte colonial”. Pourtant, cette plage, loin des enjeux géopolitiques miniers, connaît sa gloire à l’image dans le silence de ses galets. Tout d’abord dans les guides et cartes postales, les touristes venant y inscrire au galet blanc des formes et textes dans le sable. Puis, en 1991, c’est le monde de l’art qui la connaîtra par la très célèbre vidéo devenant signature d’Ange Leccia, La mer (1991, 45’42), où le mouvement en boucle quasi hypnotique sera vanté comme une nouvelle forme d’“extraction”, celle de l’image au lieu, formant un processus iwmaginaire “déterritorialisée”. Mais, aujourd’hui, en tant qu’artistes corses questionnant notre historicité, devons-nous préserver le silence de ces galets “rincés” de leur radioactivités, rendus muets jusqu’à l’image, qui trouvent aujourd’hui un nouveau rôle, témoignant de l’exploitation néocoloniale des ressources rares.

Retournant alors sur les pas d’Ange Leccia, à l’aube de la destruction de la mine et de la réexploitation des produits du gisement, retrouvant son point de vue et son inclinaison, je filme cette plage dont les traces des moouvements des vagues sur le sable deviennent photographiques à leur tour, une “poussière” fixe d’un temps passé attestant de la fin d’un mouvement. Désormais dans l’image, les vagues, privées du souffle de la tempête, demeurent en arrière-plan et ne parviennent à faire image, échouent au processus esthétique de l’extraction, nous fixent au réel, et sur le sable ne gisent alors que les ruines sédimentaires colorées des vagues d’Ange Leccia, quelques fragments de textes clandestins visibles depuis la tour, et le son continu du “rinçage” de la toxicité, prenant à leur tour la forme des traces d’une explosion. Depuis cette plage, il s’agit alors de retrouver le filon d’images et de pierres qui contamine notre actualité.


Mark


PER CORPO RIBELLE LASCIAI IL MIO DIO OR PIANGI CUOR MIO LA TUA CECITÀ.