Infurmazioni —
a grana è u scoddu
Partant du village de Granaccia, mon travail de recherche et de création s’ancre sur le territoire corse, s’inspirant à la fois de son principe insulaire, de son histoire mondiale et de ses conceptions du sacré. Ces caractéristiques dialoguent dans le lien entre image et insularité à travers l’épreuve de la résistance, que j’étudie en me concentrant sur le concept de latence. Si je pars de la photographie, ce qui m’anime est bien la formation des réseaux de pouvoirs qui opèrent dans l’image et la tentative de leur déconstruction. L’insularité devient alors un espace d’étude focalisant où ressurgit la question du récit.
Porté par la conceptualisation photographique, j’étudie son héritage occidental et ses effectivités : des intensifications magico-religieuses jusqu’à la structuration technique d’un dispositif de contrôle et de surveillance colonial et social. De cette image occidentale, chargée des spectres de la gouvernance impérialiste, mes recherches sur la latence questionnent ses modes de résistance par la possibilité des devenirs, échappant au contrôle dans la dissimulation, le voilement. Résister, c'est refuser l'identification à des formes fixes du pouvoir pour favoriser des lignes de fuite dit Deleuze. Dans l’exposition artistique émerge alors une possibilité d’écart en formant une réflexion sur les infrastructures socio-politiques qui portent l’image dans ses capacités à conquérir, surveiller et punir. Interroger l’image, de ce point de vue, c’est interroger les pouvoirs qui la structurent : c’est interroger l’arkhè. Ainsi se pose la nécessité d’une production curatrice de la préservation tout autant qu’un questionnement sur les possibilités de l’œuvre, jouant entre autorité et autorialité, et refusant la gouvernance, dans l’héritage documentaire de l’histoire de la photographie.
Ces recherches trouvent leur forme dans la proposition archipélique : chaque pièce se définit en réseau dans l’évènement de la rencontre, générant des interactions, créant un lieu. Par l’installation, il revient alors d’arpenter dans ce lieu les différentes strates présentes dans l’image qu’il nous faut lever et réactiver : tout devient signe à qui sait le lire, à quiddi chì sò cegniti. Ces réflexions nous amènent à l’insularité et son exposition, un territoire qui devient l’espace circulaire du passage et de l’initiation : un espace du sacré et de la rémanence, de la hantise et de la résistance, du lien et du soin, du magique et du rituel, un espace spéculatif, non providentiel, un espace du potentiel où se maintient l’expérience de la variabilité, l’expérience du récit. De l’île à la latence se pose donc tout autant la question de l’adresse, de la structure, de l’œuvre. Un espace insulaire qu’il nous revient de préserver pour que se fasse la transmission, l’exposition devenant un espace initiatique du passage l’expérience.
Créer en Corse, c’est analyser l’insularité, l’imaginaire et l’imagement. Dans l’héritage de puissance entre vision magique et langage opératoire, dans une tradition de la création sacrée basée sur l’effectivité miraculeuse, des pratiques rituelles issues du culte des morts et du chamanisme. De cette terre de cristaghji (qui façonnent le Christ) qui attribue à l’image une valeur d’intercession, communicante, douée de vertus, définir l’artiste dans la position du néo-conteur, face à une pensée de la puvartà (pauvreté) contre l’objet marchand, renouant avec le récit, avec le foyer. De tout cela, c’est bien la construction de la mémoire et du sacré qu’il s’agit de questionner et de négocier. Et face à la surabondance de la donnée, nous dépouiller pour renouer avec l’expérience. Depuis cette pratique artistique du prélèvement, il nous est nécessaire de revenir vers la pierre d’angle, vers’u Scoddu, pour à chaque fois interroger ce qui nous éduque, nous élève, ce qui fait commun, et ce qui nous porte à la résistance, ontologique.

“La langue des Grecs nomme ce don de liberté qui seul accorde tout ce qui est ouvert l’a-λήθεια, l’être à découvert. Elle n’écarte pas l’être à couvert. Cela se produit si peu que la mise à découvert a sans cesse besoin de la mise à couvert.”
Martin HEIDEGGER, Conférence d’Athènes, 1967
Martin HEIDEGGER, Conférence d’Athènes, 1967
“Tout comme à l'intérieur de l'homme, au moment où la vie touche à sa fin, une série d'images est mise en mouvement — qui consiste en des visions de sa propre personne où il s rencontre lui-même, sans même en prendre conscience —, de même surgit d'un coup dans ses expressions et ses regards l'inoubliable et communique à tout ce qui le concerne l'autorité que même le plus pauvre des brigands possède au moment de mourir aux yeux des vivants qui l'entourent. À l'origine de ce qui est raconté, se trouve l'autorité.”
Walter BENJAMIN, Le conteur, 1936
“Ch'eddu si sprufondi u Tempiu è un ferma cà a petra a più suttana.”
GHJASTEMA, Tradiziunale
GHJASTEMA, Tradiziunale
Après un parcours universitaire à l’Università di Corsica, à l’Université de Nîmes et l’Université Paris 8 | Vincenne - Saint-Denis, je suis actuellement en troisième année à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles.
Je suis membre d’U Scoddu, collectif travaillant la valorisation du patrimoine du Sartenais et de la Rocca. Il se compose de jeunes sartenais.e.s travaillant l’architecture, l’anthropologie et l’art, attentif.ve.s à la question du vernaculaire et du paysage bâti, questionnant la construction de la mémoire et la transmission du récit.