TUTTU   PRUGHJETTI    WIP    RICERCA   U SCODDU



Infurmazioni

a grana è u scoddu


Partant du village de Granaccia, mon travail de recherche et de création est ancré sur le territoire corse : à la fois son principe insulaire, son histoire mondiale et ses conceptions du sacré, qui se regroupent dans le lien entre image et insularité à travers l’épreuve de la résistance. J’étudie ce lien en me concentrant sur le concept de latence, questionnant à la fois l’image et le récit : leurs intensités, leurs modes d’expressions et de survivances, leurs rencontres. Si je pars de la photographie, dont l’histoire correspond à la technicisation du contrôle de masse, ce qui m’anime est bien la formation des réseaux du pouvoir qui opèrent dans l’image et la tentative de leur déconstruction méthodique.

Porté par la conceptualisation photographique, j’étudie son héritage double : des intensifications magico-religieuses depuis la pensée mythique grecque à l’économie incarnationnelle chrétienne, ainsi que la structuration technique d’un système de surveillance protocolaire depuis le bertillonnage. Face à cette double adhérence de l’image occidentale, hantée des spectres du mystique et du contrôle, les recherches sur la latence questionnent ses modes de résistance. Se pose dans ce temps la nécessité d’une production curatrice de la préservation (sans détérioration ni remplissement du monde) tout autant qu’un questionnement sur les possibilité d’advenance de l’œuvre. Par la structure initiatique émerge un contre-pouvoir à la norme institutionnelle (marchandisations, cadres, évaluations) et à la sécularisation (universalité), formant une réflexion sur les infrastructures socio-politiques qui portent l’image dans ses capacités à conquérir, surveiller et punir : interroger l’image, c’est interroger les pouvoir qui la structurent, et le rapport contractuel dans la co-actorialité ; c’est interroger l’arkhè.

Ces recherches trouvent leur forme dans la proposition archipélique, où chaque pièce se définit par le réseau noué avec les autres, dans l’évènement de leur rencontre, hors des cadres de la série. Par l’installation comprenant  photographies, performances, vidéos, archives, etc, il revient alors de trouver la structure commune pour arpenter les différentes strates présentes dans l’image qu’il nous faut lever et réactiver : tout est signe à qui sait le lire, à quiddi chì sò cegniti. Ces réflexions nous amènent à l’insularité et son exposition, un territoire qui se devient l’espace circulaire du passage et de l’initiation : un espace du sacré et de la rémanence, de la hantise et de la résistance, du lien et du soin, du magique et du rituel, un espace spéculatif et non providentiel, un espace du potentiel où se maintient l’expérience de la variabilité. De l’île à la latence se pose donc tout autant la question de l’adresse, de l’existence (événement) et de l’existant (trace de l’évènement), donc de l’avènement de la structure, de l’œuvre, ou non ; un espace qu’il nous revient de préserver pour que se fasse la transmission initiatique.

Créer en Corse, c’est tenter d’analyser l’insularité, l’imaginaire et l’imagement : dans le rapport de puissance entre vision magique et langage opératoire, dans une tradition de la création sacrée basée sur l’effectivité miraculeuse, des pratiques rituelles du culte des morts et des pratiques chamaniques. Cette terre de cristaghji (qui façonnent le Christ) attribue à l’image une valeur d’intercession, communicante, douée de vertus, et définit l’artiste dans la position du passeur, initiatique ou psychopompe. Et, de tout cela, c’est bien finalement la construction de la mémoire qu’il s’agit de questionner et de négocier, à contre-sens des principes qui structurent la grande Histoire occidentale : de l’exposition et de la figuration. Et dans cette pratique artistique du prélèvement, de ces pensées anarchiques, il nous est nécessaire de revenir vers la pierre d’angle, vers’u Scoddu, pour à chaque fois interroger ce qui nous porte à la résistance.


« Toute parole est une terre 
il est de fouiller son sous-sol 
où un espace meuble est gardé 
brûlant, pour ce que l’arbre dit
 »
Édouard GLISSANT, Poèmes complets, 1994

« L'esprit donne l'idée d'une nation ; mais ce qui fait sa force sentimentale, c'est la communauté de rêve. »
André MALRAUX, La Tentation de l’Occident, 1926

« La langue des Grecs nomme ce don de liberté qui seul accorde tout ce qui est ouvert l’a-λήθεια, l’être à découvert. Elle n’écarte pas l’être à couvert. Cela se produit si peu que la mise à découvert a sans cesse besoin de la mise à couvert. » 
Martin HEIDEGGER, Conférence d’Athènes, 1967

“Ce qui advient aime à se soustraire (phusis kruptesthai philei)”
HÉRACLITE, Frag. B123

“Agis dans ton lieu, pense avec le monde”
Édouard GLISSANT, entretien avec R. Moussaoui et F. Nouvet, 2005



Après un parcours universitaire à l’Università di Corsica, à l’Université de Nîmes et l’Université Paris 8 | Vincenne - Saint-Denis, je suis actuellement en troisième année à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles.
Je suis membre d’U Scoddu, collectif travaillant la valorisation du patrimoine du Sartenais et de la Rocca. Il se compose de jeunes sartenais.e.s travaillant l’architecture, l’anthropologie et l’art, attentif.ve.s à la question du vernaculaire et du paysage bâti, questionnant la construction de la mémoire et la transmission du récit.