TUTTU   PRUGHJETTI    WIP    RICERCA   U SCODDU

Ensemble de pièces,
installation archipélique
2021 — 
L’orazione est un scapulaire : dans la tradition corse, il s’agit d’un contenant chargé d’un objet pieux protégeant le porteur tant qu’il demeure secret, sinon quoi il sera maudit une fois révélé.


Depuis la carte postale et le principe de l’orazione, le projet interroge la circulation des visibilités dans l’île. Il a s’agit de mettre en lien cette visibilité itinérante avec la question de la colonisation pour faire face à un dilemme photographique : est-ce que montrer un territoire, c’est déjà le coloniser ? Car contrôler l’image d’un territoire, contrôler ses visibilités, cela suppose prendre contrôle du dit territoire. Chì tù fermi secca devient alors un projet se construisant autour de la mémoire du village de Granaccia, notamment de mes lignées au sein de la famille Leandri, interrogeant la question de l’archive et ses intensités : à la fois gestation, poids, volume, empreinte et survivance, notamment dans l’héritage d’une culture chrétienne de l’image. Et finalement, face au paysage, face à l’outil, face à l’image, chaque geste de latence devient geste de résistance, un besoin de renouer avec le récit. Le titre provenant de la légende d’A Spusata montre cette ambuiguité entre fixité sentencielle et impossibilité de la transmission.


Photographies et installations
2021 —
Le granite, matière première de l’architecture vernaculaire de l’Alta Rocca, est placé au centre de cette recherche, qui, par sa nature radioactive est un moyen d’interroger les flux de l’insularité.

Le granite, matière première de l’architecture vernaculaire corse, est placé au centre de cette recherche, qui, par sa nature radioactive, par son souffle, devient un moyen d’interroger les flux. Arrêtons-nous alors sur ces lucciole de Pier Paolo Pasolini, ces lueurs qui brillent dans la nuit, ces corps passés devenus étrangers du présent. Les nombreux récits de pétrifications qui façonnent le paysage corse m’amène à penser l’insularité à travers son édification par le mythe et la religion à travers la symbolique de la pierre. Si au Néolithique ancien, vivants et morts cohabitent dans le même espace, au Néolithique moyen le « vivant » construit « l’habitation » (totalement ou à partir d’un site naturel aménagé comme un abri sous-roche) du défunt en l’éloignant de l’espace de vie. Mais plus qu’être une simple demeure, il s’agit bien d’un lieu de culte en lien avec des cérémonies. Ainsi se projet se construit sur l’errance et l’imaginaire, sur la survivance et la fixation.

Ensemble de pièces,
installation archipélique
2022 —
La dialectique du feu, entre embrasement et recommencement perpétuel, comme mode d’interrogation de la militance politique et de la violence.


Depuis le mouvement du Riacquistu des années 1970 et la structuration politique et clandestine qui l’entoure, l’avenir et l’émancipation de la Corse ont été pensés à travers la reconnaissance et l’affirmation de son passé face à une stratégie coloniale mondialisante. Bien qu'un grand chemin ait été fait, un demi-siècle après, l’énergie que portaient cette période semble s’essouffler, et ressurgissent des pensées néocoloniales et fascisantes, laissant une jeunesse en crise de sa propre voix. Cette crise est ainsi étudiée à travers le prisme du feu : à la fois dans son utilisation paysanne, la colère populaire, la destruction clandestine, et la conception chrétienne. Il devient ainsi une manière de questionner ces récits, parfois séculaires, et les corps qui l’arpente, la tension de violence permanente et l’omniprésence des croyances dans notre quotidien, entre guérison et purfication. Et ainsi le feu permet cette alternance entre notre actualité et l’histoire moderne.

Ensemble de pièces,
installation archipéique
2022 —
La photographie a longtemps été définit une absence, dont il nous faudra restituer un spectre d’intensité, très inspiré par le registre de l’image reliquaire, miraculeuse et l’image achiropoïète. Quand vient la prise, la suspension de matière vaut comme une fixation.


La photographie a longtemps été définit par la certitude d’une absence, effective ou anticipée, dont il nous faudra restituer un spectre d’intensité. Quand vient la prise, la suspension de matière vaut comme une fixation, d’un corps de chair en un corps en particules fines ; puis la donnée fera se poser la question de ce contact jusqu’à avancer la fin d’un processus. Or, comment penser cette absence dans une culture pensant le monde par croisement des plans : celui des vivants et des morts ? La visibilité en Corse n’est pas à éloigner de la pensée mazzerique : une forme de chamanisme corse issu du culte des morts. Si aujourd’hui on pense le mazzerisme à travers les chasses nocturnes rêvées ou somnambuliques de personnages passeurs dotés d’une hypersensorialité, il n’est pas à séparer de la pensée de l’ochju, dont la guérison par les signadori dépend de pouvoirs chamaniques à l'origine commune mais désormais séparés. Car dans l’ochju, c’est la pensée d’un pouvoir qui survit dans le sort de la jettatura, la pensée d’une puissance dans la visibilisation. Ici, cette pensée est étudiée à travers a petra uchjata (la diorite orbiculaire) dont le gisement se situe à Santa Lucia di Tallà, quasiment épuisé par le pillage. Regardons cette pierre où germent les yeux pers, le glaukós d’Athéna, l’éclat rayonnant, et questionner la puissance du regard dans une culture magique, des mazzeri aux yeux qui se forment dans l’huile d'a razione. À notre tour d’étudier les spectres de l'invisible.

In li monti di Cuscionu
[mesure du temps]

Photographies,
tirages argentiques 24 x 30 cm
2021 —
In li monti di Cuscionu (ou Sù li monti di Cuscioni, ou Nelli monti di Cuscionu ou Nanna di u Cuscionu) : une chanson traditionnelle comportant plusieurs variantes, relevé par Félix Quilici puis Canta u Populu Corsu.


En Corse, comme en Sardaigne les évaluations de longueur, de distance ou de surface, étaient souvent faites en temps (ghjurnata = journée), selon l’effort à produire pour la transformation à effectuer, c’est-à-dire d’une manière forte imprécise et variable selon les lieux, les hommes, dans un rapport quasi-systématique au corps : on est dans une mesure par le relationnel entre l’objet et l’intervenant. Ainsi se pose cette étude du lieu dit de Chiralbedda sur le plateau du Cuscionu, où transhumaient les habitants du village de Granaccia où vit ma famille depuis le XVIIIe. Travaillant l’occupation du territoire et ses changements à partir de récits familiaux, il s’agit d’expérimenter une forme de recueillement à travers l’appareillage de la chambre photographique 4x5” pour étudier ce rapport au temps propre à ceux qui vivaient sur ces montagnes. Ce lieu dont est issue cette nanna, une berceuse, qui nous conte les modes de vie de ses habitants, et ses espoirs.


PER CORPO RIBELLE LASCIAI IL MIO DIO OR PIANGI CUOR MIO LA TUA CECITÀ.