FOCU

Installation
2022 —


« Seul l'historiographe a le don d'allumer dans le passé l'étincelle d'espoir qui en est pénétrée : même les morts ne seront pas en sécurité face à l'ennemi si celui-ci l'emporte. Or cet ennemi n'a pas arrêté de l'emporter. »
Walter Benjamin

« La répétition restitue la possibilité de ce qui a été, le rend à nouveau possible. Répéter une chose, c'est la rendre à nouveau possible. C'est là que réside la proximité entre la répétition et la mémoire. Car la mémoire ne peut pas non plus nous rendre tel quel ce qui a été. Ce serait l'enfer. La mémoire restitue au passé sa possibilité. C'est le sens de cette expérience théologique que Benjamin voyait dans la mémoire, lorsqu'il disait que le souvenir fait de l'inaccompli un accompli, et de l'accompli un inaccompli. La mémoire est pour ainsi dire l'organe de modalisation du réel, ce qui peut transformer le réel en possible et le possible en réel. »
Giorgio Agamben

“Je soigne par le feu, et ça s’appelle cotériser. Le feu se nourrit de notre merde. Il monte, il rampe, il saute, il avance, un coup de griffe à droite, un à gauche, il éventre, il dévore tout se qui se trouve sur son chemin. On dirait qu’il sait où il va. On en fait quoi de toute ces flammes ? On doit chosir : il faut regarder le feu ou brûler dedans.”
Caroline Poggi et Jonathan Vinel



È Fora a Francia

Installation
Crédits images : Alta Frequenza, Corse-Matin, Jean-Louis Orlandetti, Kalliste HomeDesign, ...


È Fora A Francia
Vidéo, 1:22:54, 2022




Bavedda 2022
Tirage Jet d’encre, 30 x 40cm, 2022



Purtivechju 2024
Tirage Jet d’encre, 30 x 40cm, 2024



Bunifaziu 2024
Tirage Jet d’encre, 30 x 40cm, 2024


Ekpyrosis

Installation, vidéos sonores sur télévisions cathodiques, depuis 2023 Crédits images d’archives : Génération FLNC, Samuel Lajus, 2003


[Ekpyrosis]
Vidéos, triptyque, 2024
    #1 (Focu) 4:15
    #2 (Sperone) 7:57 
    #3 (Nuit bleue) 3:56




Furiani 1992

Installation, vidéos sonores sur télévisions cathodiques, 2023
Crédit images d’archives : 19/20 FR3 du 06 mai 1992 - Edition spéciale Furiani - Archive INA présenté par Elise Lucet les titres édition spéciale sur la catastrophe du stade de Furiani le 05 mai 1992


Furiani 1992
Vidéos, triptyque, 20:00, 2023



Holokaustôma

Tirages celluloïd, 2024
Crédits images : Pascal Pochard-Casabianca et autres

#1
Tirage celluloïd encadré sur caisson lumineux en bois, 70 x 60 cm, 2024

#2
Tirage celluloïd encadré sur caisson lumineux en bois, 60 x 70 cm, 2024


#3
Tirage celluloïd encadré sur caisson lumineux en bois, 60 x 70 cm, 2024


#4
Tirage celluloïd encadré sur caisson lumineux en bois, 60 x 70 cm, 2024



Anakephalaiaosis

Photographies, 2024





Bunifaziu 2024
Tirages sur plaques  de cuivres, encadrement sur caisses américaines, 15x 15 cm, 2024



Arles 2022
Tirage UV aluminium, 30 x 40cm, encadrement sur caisses américaines, 2022



Rimondula

Vidéos, 2024
Crédits images d’archives : FOCU (parolle d’eri 06), U Focu, Petru Simone

Rimondula#1
Vidéoprojection, sonore 7:47 min, 2024 (photogrammes)



Rimondula#2
Vidéoprojection, muet 5min31, 2024 (photogrammes)



Rimondula#3
Vidéoprojection, muet 5min35, 2024 (photogrammes)


U Sfumu

Vidéo sonore, 13min38,  en collaboration avec Léna Besson
(Réalisation et conception : Léna Besson, avec Jules Pardini et Francis Leandri)
U Debbiu 
Vidéo sonore, 13min38, 2024 





Incantesimi

Performances en collaboration avec Léna Besson et photographies
Ensemble réalisé pour la couverture du catalogue “Roma Amore”, Biennale DE RENAVA #2
500 instantanés 54 x 86 mm, prise de vue par Léna Besson, 2024



Incantesimu n°/500, performance, 2024, instantanés 54 x 86 mm par Léna Besson


Hi (le feu)
Tirage jet d’encre,  30 x 40 cm, 2022


 
Análēpsis [la prise]
Tirage jet d’encre, 38 x 57 cm, 2024



IFF
Tirage jet d’encre,  30 x 40 cm, 2022


ASC
Tirage jet d’encre,  30 x 40 cm, 2022



FLNC
Tirage jet d’encre,  30 x 40 cm, 2022




Focu
Dyptique, tirages jet d’encre, 30 x 50 cm, 2024





Depuis le mouvement du Riacquistu des années 1970 et la structuration politique et clandestine qui l’entoure, l’avenir et l’émancipation de la Corse ont été pensés à travers la reconnaissance et l’affirmation de son passé face à une stratégie coloniale mondialisante. Bien qu'un grand chemin ait été fait, un demi-siècle après, l’énergie que portaient cette période semble s’essouffler, et finalement, la revendication politique semble aux mains de figures du passé, laissant une jeunesse en crise de sa propre voix. Aujourd’hui pourtant dans une actualité où s’éveille une pensée mondiale décoloniale et écologiste —les deux grandes revendications militantes corses—, c’est à la jeunesse de choisir les formes de sa lutte et questionner son héritage, et d’autant plus à l’heure du processus d’autonomie.

La volonté de ce projet commence par les images partagées sur Facebook des manifestations lors de l'attaque puis la mort d'Yvan Collona à la prison d'Arles en Mars 2022, ville dans laquelle je fais mes études alors à ce moment-là, et qui reste dans le silence de cet évènement tandis que la corse s'embrase pendant un mois jusqu'à la crainte d'une confrontation armée entre militants et forces de l'ordre français. Cependant, la situation s’apaise après des accords menés entre Gérard Darmanin et la majorité territoriale, et les clivages autour de la définition d'une autonomie et la reprise de la lutte resurgissent, nous ramenant vers des questionnements entérrés depuis la trêve du FLNC en 2014 pour  réouvrir le canal de la discussion politique. Mais aujourd'hui, après les évènements en Kanaky et la répression militaire, se pose la question de la reprise des armes chez les indépendantistes au vu du durcissement de la politique coloniale du gouvernement français. Mais la lutte armée porte aujourd'hui l'imaginaire d'un passé proche de la guerre civile, et beaucoup posent la question de ses dérives. Alors, depuis Arles, face à l'actualité, je retourne sur ces images des Années de plomb que je retravaille, les obsèques de militants du FLNC durant la guerre fratricide de 1993-1994 à la suite de la Catastrophe de Furiani le 5 mai 1992 et l'assassinat de Robert Sozzi, un incendie après une Nuit bleue, et l’affaire du Golfe de Sperone à partir d’archives qui ne paraissent pas si lointaines. Et finalement, je me demande si les évènements après la mort d'Yvan Colonna n'ont pas été instantanément archives du fait de l'importance du moment politique qui, à peine saisi par la jeunesse, a cessé, et sans même de résolution à ce jour où l'autonomie est sous discussion régressive depuis deux ans.

Je reprends alors ces deux générations d'archives : actuelles et passées, et l’objectif des manipulations que j'opère est double : amener un décalage, une brèche en éprouvant l’image, qui est elle-même mise à l’épreuve avec une ambiance lourde, chargée, et un rapport au temps complètement détracté. Tout cela dans la volonté de faire de cette installation et de ces images un espace d’intervalle où l’on peut s’insérer pour non plus voir, mais entre-voir. Le titre de ce projet lié au feu dans sa portée violente — le coup de feu — et consumatrice — : dans le christianisme la notion d’« anakephalaiaosis », la récapitulation ponctuelle du tout, est liée à la consumation par le feu : « ekpyrosis » — ce que l’on retrouve dans les symboliques du feu de Noël et de la Saint Jean, célébration du renouveau des solstices d’héritage païen. Enfin, l’ « olokaustôma » grecque, substantif de l’adjectif holokaustos signifiant littéralement « brûlé tout à fait »,  et à l’histoire sémantique  principalement chrétienne, car les Pères de l’Église s’en servirent pour traduire  la doctrine du sacrifice dans la Bible.

Ainsi tout au long du projet surgit la cyclicité création-apogée-déclin-chute des luttes et des structures militantes face à une entité coloniale, le regard nouveau porté après la démilitarisation qui a permis de prendre le temps de questionner cette lutte armée, ses avancées et ses dérives, puis sa résurgence après l’assassinat d’Yvan Colonna avec le groupe GCC (Ghjuventù Corsa Clandestina) et la remilitarisation du Front. Attentif toutefois à la mythification de ce passé militant (ou a contrario, parfois, le rejet), cette installation se propose comme un espace d’interrogation. La confrontation du présent du spectateur et de la mémoire archivée, l’anachronisme de ces images médiatiques dans un espace d’art contemporain, valent comme une tentative de surgissement de l’« étincelle d’espérance » (W. Benjamin) qui se loge parfois dans les images. L’utilisation d’archives dans lesquelles je viens opérer une réactivation est une interrogation autour du patrimoine vernaculaire, du capital culturel et de la tradition de la reprise dans musique traditionnelle corse. Cette alternance des titres entre Grec ancien et Corse questionne le régime d'intensification et illocutoire actuel de ces langues dont une est morte et l’autre en danger, et  perdant en portée communicative portant gagnent à porter des concepts encore aujourd’hui.

Cependant, si nous avons regarder la symbolique de la cyclicité rituelle du feu, il existe aussi la calamité, l'incendie, contre lequel il faut lutter parfois par le feu. U Focu (le feu) peut-être aussi mis en lien avec u Debbiu ou a Rimondula, le défrichage agro-pastoral par le feu sans vent ou avec vent contraire : avant, quand il y avait le feu, on disait toujours que le berger en était responsable. Ce terrain brûlé, on l’appelait carpinetu ou usciatu et devient un espace négatif, d'attente et de silence. C'est ainsi que le projet s’ouvre vers la tradition pastorale et l’acte d’u debbiu sur le terrain familial, acte filmé par Léna Besson lors du démaquisage annuel qui progressivement nous amène vers un écran blanc. Enfin, regardant la culture magique corse, il existe un rapport au feu de l’exorcisation qui peut nous permettre d’aller vers la guérison de la brûlure. Tout d’abord, la pratique d’u sfumu (l'enfumement) : rituel afin d’enlever l’ochju (le mauvais œil) souvent dans un cas particulièrement puissant ou d’un enfant nouveau-né, à partir de prières entonner dans l’enfumement de la personne touchée. On dit de la guérisseuse qu’elle est une sfumadora, mammina ou incantatora, ou encore tinidora pour exorciser les femmes enceintes (Roccu Multedo). Ainsi il reviendra de trouver par l'image les actes de guérison, de résolution à ce relevé de brûlures (brusgiature) et ne pas seulement en être la constatation, ce que veut l’ensemble de performances Incantesimi. Enfin pour Roccu Multedo, l'appel au dernier mort, qui nous renvoie nécessairement à Yvan Colonna devenu martyr d'un renouveau de la lutte, relance cette boucle d'images aujourd'hui fermée, au temps de crise de notre actualité en Corse.

Finalement, ce projet devient et sera un lieu de questionnement de l'image à partir de la question du rituel, la manière dont les croyances et conceptions chrétiennes de l'économie trinitaire par l'incarnation relevées par Marie-José Mondzain persistent dans l'image photographique et la manière dont nous regardons l'histoire. C'est donc un lien image-histoire-rituel qui entoure ce projet à travers l'image médiatique, le feu (le foyer, le tir, la brûlure, l'incendie) et son exorcisation, une manière de regarder le passé pour tenter de saisir notre présent, dans l'arrêt du flux. Car dans la répétition se crée l'écart, inframince, premier espace de mouvance du changement à venir.


“La douceur des mots est une sorte de baume en vue de la régénérescence de la chair. Dans les prières contre les brûlures, tous les mots employés sont précédés de l'adiecti «doux». Pendant que la signatora récite une de ces prières, la personne atteinte de brûlures, prend de la main gauche des petits morceaux de charbon dans la cheminée. Enfin pour éloigner u focu, l'incendie, si chjama (on prie) non pas tous les morts, mais l'ultimu mortu di u paese (la dernière personne du village qui est décédée).”
Roccu Multedo