Dyptique, tirage jet d’encore, 18x24 cm, encadré
Mezzaru / 2024
Voile en mousseline noir suspendu, installation (image générative de préparation)
Colomba/ 2024
Vidéo projection, 10x15 cm,
crédit: fond Joseph Moretti
U mezzaru, ou mezzeru, de l'arabe مئزار mi’zar, “vêtement”, désigne le voile noir, généralement en mousseline, qui était utilisé par les femmes pour se couvrir la tête et les épaules. Il fait parti des nombreux vêtements de femme traditionnels corses de voilement : hérité d’a faldetta (jupe longue relevé sur la tête en forme de voile, d’abord d'un bleu turc puis utilisé pour le deuil), qui donnera plus tard également u scialu (le fichu), u mandile di capu (fanchon) et a viletta (voilette). Il était souvent utilisé en signe de deuil. Mais à partir de Prosper Mérimée et sa célèbre Colomba, viendra la création d’un imaginaire de la corse porté par des “types corses” dans a cartulina (carte postale), dont les inspirations directes sont François Antoine Bonelli, dit Antoine Bellacoscia, et Colomba Carabelli, inspirant Mérimée.
Ce tissu nous questionne de deux manière : la place de la femme dans la culture corse par tous les rites d’accompagnement et de lamentation funèbres, par u voceru, la lamentation funèbre improvisée par les femmes devant le mort, a strappa, l'énonciation de la déchirure, et u caracolu. Des penseurs.ses de la Corse verront dans a vindetta (vengeance rituelle) la continuité d’un culte des morts, qu’atteste notamment toutes les phases rituelles et symboliques de l’attacatta (au rimbeccu (appel et rappel symboloques). La femme, à son insu ou à son appel, est donc au centre de la pensée de la vindetta : victime par le fait d’attacar a donna, le ait d’attaquer la coiffe (scuffia) ou le visage d’une femme sur la place publique qui correspond à un viol symbolique et la laisse déshonorée (sfacciatta), ce qui vaut très souvent comme une déclaration de vindetta, et porteuse de la colère du mort par u rimbeccu.
Le lien entre le voile et l’image ainsi que leur effectivité relationnelle seront particulièrement étudiés par Martin Heidegger et Marie-José Mondzain : le premier dans la pensée de l’alètheia grecque avec le dé/voilement comme effectivité ontologique de l’être, la seconde comme relation à l’infigurable dans la pensée incarnationnelle chrétienne jusqu’à l’héritage de la puissance reliquaire des images achiropoïètes sur la photographie. Et face à ce paradoxe entre hypervisibilisation imaginaire de la carte postale et le voile comme anonymisation, comment se place l’image aujourd’hui ? Guardati, si u Sole un'ti tocca, ù mio piombu ti tocchera (Prends garde à toi, que si le soleil ne touche pas, mon plomb lui te touchera) : le discours autour de la violence en Corse est bien celle de la question du regard, u sguardu, encore une fois. Faisons le lien rituel et symbolique du voilement, à la fois profane celui des femmes, sacré celui des confréries, et miliants ceux des militants du Front, et leur effectivité respective.