Sciroccu

Tirages C-prints,
Formats variables
2022 —


“U Sciroccu est un vent chaud du Sud et Sud-Ouest provoquant un dépôt de particules poussiéreuses, limons et argiles aux couleurs jaune rosé venues du Maghreb. Un vent du recouvrement, qui embaume les formes et les corps, saisis dans leur immobilité. Un vent qui laisse sa trace, une pellicule que l’on peut toucher pour écrire ou dessiner sur la surface lisse d’un capot de voiture ; ou alors la souffler, participer aux derniers élans de son déplacement. Ce vent comme un transfert de particules de lieu en lieu, le fantôme d’un climat venu d’ailleurs, d’un autre temps, d’un autre lieu. Ce vent qui vous frôle douloureusement le visage, qui allume le feu dans la nuit, générant de nouvelles particules cette fois de couleur cendrée. Ce vent qui noirci nos muqueuses, nos mouchoirs et agite nos nuits sur des draps bientôt trempés. Ce vent qui efface les ombres, les formes, mais permet, orgueilleusement, un regard droit vers le Soleil. Chaque surface est brûlante, intouchable. Alors, comment capter ce qui constituerait une immatérialité, la nôtre, endémique, forgée par un principe insulaire, notre spiritualité, nos croyances, nos mythes et nos langages, les regards, les voix, et l’intonation qu’on leur prête, cette violence séculaire, si ce n’est en prélevant la couverture poussiéreuse qui forme les contours de ces signes latents.”

Extrait de Si pesa u Sciroccu














« Il faut brûler pour arriver / Consumés au dernier feu. »
Pier Paolo Pasolini








« Jamais l’œil n’eût pu voir le soleil s’il n’avait pris la forme du soleil.
Car il faut rendre ce qui voit parent et semblable à ce qui est vu pour s’appliquer à contempler. »

Plotin




Prenant pour parallèle le dépôt d’argent sur la pellicule et le dépôt poussiéreux qui se dépose après un épisode de scirocco, ce projet se place comme une étude inspirée du processus de la photographie argentique. Cette question du Scirocco m’amène à une étude croisée avec le chamanisme insulaire, notamment par le mazzerisme et l’ochju (ou malocchio italien), ramené à ses croyances et ses principes héritées de la vision qu’a étudiés Max Caisson. Jouant des rapports de visibilités et d’imaginaires, l’image devient un espace stratigraphique, un support plus ou moins lisse où s’intercalent des couches de (in)visibilités, entre matières et résidus ; ces corps que l’on prelève afin d’en saisir les dépôts spectrales.

Mêlant textes et images, ce projet se concentre sur la forme de récits, leurs chemins, leurs formes, leurs restes, et positionne la photographie dans sa problématique ontologique revenant de manière cyclique : celle de la trace que l’on prélève et manipule, détachée de son origine. Comparable au miroir, une certaine photographie se définit par cette seule certitude, la nécessité d’une absence, passée ou à venir. Puis vient une suspension de la matière, et enfin une fixation éphémère. 

Face au trop plein que redoutaient les Grecs, la solution du feu, et le recommencement, comme si cette poussière cendrée étaient vouée à ne plus nous quitter, à s’accrocher, elle aussi.