Sciroccu / 2022
Tirages C-Print deep mat, 24x30cm, encadrement
“U Sciroccu est un vent chaud du Sud et Sud-Ouest provoquant un dépôt de particules poussiéreuses, limons et argiles aux couleurs jaune rosé venues du Maghreb. Un vent du recouvrement, qui embaume les formes et les corps, saisis dans leur immobilité. Un vent qui laisse sa trace, une pellicule que l’on peut toucher pour écrire ou dessiner sur la surface lisse d’un capot de voiture ; ou alors la souffler, participer aux derniers élans de son déplacement. Ce vent comme un transfert de particules de lieu en lieu, le fantôme d’un climat venu d’ailleurs, d’un autre temps, d’un autre lieu. Ce vent qui vous frôle douloureusement le visage, qui allume le feu dans la nuit, générant de nouvelles particules cette fois de couleur cendrée. Ce vent qui noirci nos muqueuses, nos mouchoirs et agite nos nuits sur des draps trempés. Ce vent qui efface les ombres, les formes,un regard droit vers le Soleil. Chaque surface est brûlante, intouchable, sott’à a sciappitana. Alors, comment capter ce qui constituerait une immatérialité, la nôtre, endémique, forgée par un principe insulaire, notre spiritualité, nos croyances, nos mythes et nos langages, les regards, les voix, et l’intonation qu’on leur prête, cette violence séculaire, si ce n’est en prélevant la couverture poussiéreuse qui forme les contours de ces signes latents.
U Sciroccu a tracé le chemin qui dispersera au siècle dernier nos anciens, prenant la direction de Marseille, Nice, Toulon à la recherche d’un avenir loin du travail paysan, servir l’administration d’une nation coloniale, garnir les lignes de front et les bagnes, chjamati à u macellu pour une cause qui leur était inconnue. Et ils sont revenus dans le silence retrouver une vie de labeur tandis que les corps abritaient les blessures invisibles conséquences des armes au chlore et de la grippe mortelle venue d’Amérique. Le râle de leur souffle, l’épuisement de leurs voix, avant l’effondrement. Ce silence, nous n’avons pu que l’interpréter, le voir se déposer au sol en une membrane opaque, insaisissable, que nous n’osions toucher par peur de la déformer, hantés d’une réalité indésirable, alors nous l’avons repoussée. Comment prélever ces dépôts, pourrions-nous y entendre les voix et souvenirs de l’au-delà de la mer, ces récits que ne nous n’avons jamais su écouter, forgées dans la chaleur aride du Maghreb, et pourtant si familières : y sommes-nous à portée ? En famille, on parle des retombées du Cesium 137 des Gerboises et autres essais de bombes A qui nous parviennent depuis Reggane. Nous respirons les germes de conflits passés, ces réminiscences particulaires, par intromission, que nous ingérons pour intégrer la cyclicité du temps et se confronter à sa propre répétition.”
Tirages C-Print deep mat, 24x30cm, encadrement
“U Sciroccu est un vent chaud du Sud et Sud-Ouest provoquant un dépôt de particules poussiéreuses, limons et argiles aux couleurs jaune rosé venues du Maghreb. Un vent du recouvrement, qui embaume les formes et les corps, saisis dans leur immobilité. Un vent qui laisse sa trace, une pellicule que l’on peut toucher pour écrire ou dessiner sur la surface lisse d’un capot de voiture ; ou alors la souffler, participer aux derniers élans de son déplacement. Ce vent comme un transfert de particules de lieu en lieu, le fantôme d’un climat venu d’ailleurs, d’un autre temps, d’un autre lieu. Ce vent qui vous frôle douloureusement le visage, qui allume le feu dans la nuit, générant de nouvelles particules cette fois de couleur cendrée. Ce vent qui noirci nos muqueuses, nos mouchoirs et agite nos nuits sur des draps trempés. Ce vent qui efface les ombres, les formes,un regard droit vers le Soleil. Chaque surface est brûlante, intouchable, sott’à a sciappitana. Alors, comment capter ce qui constituerait une immatérialité, la nôtre, endémique, forgée par un principe insulaire, notre spiritualité, nos croyances, nos mythes et nos langages, les regards, les voix, et l’intonation qu’on leur prête, cette violence séculaire, si ce n’est en prélevant la couverture poussiéreuse qui forme les contours de ces signes latents.
U Sciroccu a tracé le chemin qui dispersera au siècle dernier nos anciens, prenant la direction de Marseille, Nice, Toulon à la recherche d’un avenir loin du travail paysan, servir l’administration d’une nation coloniale, garnir les lignes de front et les bagnes, chjamati à u macellu pour une cause qui leur était inconnue. Et ils sont revenus dans le silence retrouver une vie de labeur tandis que les corps abritaient les blessures invisibles conséquences des armes au chlore et de la grippe mortelle venue d’Amérique. Le râle de leur souffle, l’épuisement de leurs voix, avant l’effondrement. Ce silence, nous n’avons pu que l’interpréter, le voir se déposer au sol en une membrane opaque, insaisissable, que nous n’osions toucher par peur de la déformer, hantés d’une réalité indésirable, alors nous l’avons repoussée. Comment prélever ces dépôts, pourrions-nous y entendre les voix et souvenirs de l’au-delà de la mer, ces récits que ne nous n’avons jamais su écouter, forgées dans la chaleur aride du Maghreb, et pourtant si familières : y sommes-nous à portée ? En famille, on parle des retombées du Cesium 137 des Gerboises et autres essais de bombes A qui nous parviennent depuis Reggane. Nous respirons les germes de conflits passés, ces réminiscences particulaires, par intromission, que nous ingérons pour intégrer la cyclicité du temps et se confronter à sa propre répétition.”