1. Orazione
L’orazione est un scapulaire : dans la tradition corse, il s’agit d’un contenant chargé d’un objet pieux protégeant le porteur tant qu’il demeure secret, sinon quoi il sera maudit une fois révélé. Je reprends donc cette intensification fermentée pour interroger la circulation des visibilités dans une région dont l’image a trouvée une de ses premières importances historiques dans la carte postale, destinée autant au voyageur qu’à la diaspora à laquelle on écrit, jouant comme une activation à distance du territoire. Mettre en lien cette visibilité itinérante avec la question de la colonisation nous met face à un dilemme : est-ce que montrer un territoire, c’est déjà le coloniser ? Car contrôler l’image d’un territoire suppose prendre contrôle du dit territoire, d’autant plus dans un contexte de colonisation de peuplement depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Orazione est un projet se construisant autour de la mémoire du village de Granaccia notamment de ma lignée au sein de la famille Leandri (Casgiulati è Palagholu), interrogeant la question de l’archive par 3 axes à ce jour (l’orazione, l’atrium, i boti) et un épilogue : à la fois gestation, poids, volume, empreinte et survivance, notamment dans une culture à héritage judéo-chrétien.
Le protocole pour chaque axe est le suivant : une installation accompagnée chacune d’un manifeste, lui-même décliné en un corpus d’images. Certaines images de ces corpus vivent déjà dans d’autres projets.
Le protocole pour chaque axe est le suivant : une installation accompagnée chacune d’un manifeste, lui-même décliné en un corpus d’images. Certaines images de ces corpus vivent déjà dans d’autres projets.
Orazione / 2023
Ensemble de 100 plans films 4x5 inches latents, 100 châssis en fer blanc suspendus
15,1 x 10,8 x 1 cm, 83 grammes par boîtes
99 latentes, 1 voilée
001a
001b
Carte postale encadrée, exemplaire unique.
Impression laser 10 x 15 cm sur papier G-print 300 grammes.
Première carte postale du village de Granaccia tirée à 100 exemplaires (protocole de distribution à venir).
Les villages d’Aghjone, Azzana, Bilia, Campi, Cardu-Torghja, Chisà, Foce-Bilzese, Ghjunchetu, Grossa, Lanu, Mansu, Mazzola, Monaccia d'Audde, Monaccia d'Orezza, Montegrossu, Olcani, Pastricciola, Penta
Acquatella, Piazzale, Rezza, Sampolu, San Damianu, Sarra di Farru, Sarra di Fiumorbu, Scata, Scolca, Tarranu, Vallecale n’ont également par eu leur reproduction en carte postale.
Ce projet est un travaille autour de la mémoire du village de Granaccia, notamment de ma lignée au sein de la famille Leandri, interrogeant la question de l’archive, de son poids, de sa place dans une culture à héritage judéo-chrétien pourtant porté par des croyances magiques encore très fortes. Comment questionner la circulation des visibilités dans une région dont l’image a trouvée une de ses premières importances historiques dans la carte postale, destinée autant au voyageur qu’à la diaspora à laquelle on écrit, jouant comme une activation à distance du territoire. Mettre en lien cette visibilité itinérante avec la question de la colonisation nous met face à un dilemme : est-ce que montrer, c’est déjà coloniser ou du moins y participer ?
Le village de Granaccia n’a jamais eu sa carte postale, pourtant n’échappe pas à l’actualité immobilière. Utilisant le principe de l’orazione et de l’histoire de l’art, réutilisant parfois des images issues d’autres séries pour interroger mon propre fond, je questionne les glissement de croyances, les registres d’intensité qu’à acquis l’image en même temps que se commence à disparaître les rites magiques et pieux, et vit dans l’image sous le nom d’aura. Je reprends donc le principe de l’orazione, un scapulaire destiné à protéger le/la porteur.se, réalisé durant a Sant’Antone di e chjarisge (Saint Antoine de Padoue). Quiconque ouvrait le contenant (une corne, une bourse, une plaque de métal) afin de découvrir le contenu (un objet béni, une prière, un charbon, …) maudissait l’être protégé.
Par ce premier geste comparé, il s’agit de reprendre contrôle de la visibilité du village de Granaccia, qui bien qu’il n’ait jamais eu sa carte postale, n’échappe pourtant pas à l’actualité immobilière. Cependant, loin d’en faire une visibilité circulante, j’en fais une mémoire fermentée, à l’abri du regard et de la lumière qui agit alors comme une protection à cet historique du contrôle. Par ce geste centré autour du principe de la latence comme puissance, je questionne en même temps les glissement de croyances, les registres d’intensité qu’à acquis l’image en même temps que commencent à disparaître les rites magiques et pieux au XIXème siècle, et pourtant revivent dans l’image que l’on peut décéler sous le concept d’aura.
Aux 100 orazione répondent 100 cartes postales, et ainsi commence ce projet.
L’imagines / 2024
Tirage C-Print, format variable, 2024
Tirage C-Print, format variable, 2024
Revenant à des questionnements autour de la photographie, cet ensemble prend pour point de départ la maison de Palaghjolu où vivait une partie de ma famille, maison que je n’ai connu que par l’absence des corps qui l’ont fréquentés. Alors, pour espérer les “retrouver”, traverser 50 ans d’absence, j’ai dû passer par l’épreuve de l’image, et pour cela mon père a sorti un double portrait de la boîte de biscuit léguée par sa mère qu’il garde dans son placard, son atrium. Mais l’image, loin de m’aider, n’a fait que rajouter, finalement, une couche d’opacité supplémentaire, m’éloignant de cette recherche d’indice. Pourtant, ce serait nier la charge contenue dans cette boîte en métal qui a traversé le siècle, et porte en elle toute la mémoire photographique que possède mon père.
Mais la voilà qui à la fois devient porteuse d’une hantise : celle de la disparition de la lecture. Et une fois que je décide de la photographier, cette boîte, voici que la pellicule se voile. Peut-être que le poids importe plus que l’optique dans la trace, dans l’empreinte.U une résistance par la lumière s’opère, l’image se voile, sûrement dû à une erreur de manipulation. Mais hérité des croyances magico-religieuses, ce voile devient signe, cette dissimulation de la lumière par une surchage permet le surgissement d’une forme de défense du visible. Ce lien entre photographie et mémoire m’oriente alors vers la question de la spectralité : la réminiscence de ce dont la présence est devenue étrangère.
Mais la voilà qui à la fois devient porteuse d’une hantise : celle de la disparition de la lecture. Et une fois que je décide de la photographier, cette boîte, voici que la pellicule se voile. Peut-être que le poids importe plus que l’optique dans la trace, dans l’empreinte.U une résistance par la lumière s’opère, l’image se voile, sûrement dû à une erreur de manipulation. Mais hérité des croyances magico-religieuses, ce voile devient signe, cette dissimulation de la lumière par une surchage permet le surgissement d’une forme de défense du visible. Ce lien entre photographie et mémoire m’oriente alors vers la question de la spectralité : la réminiscence de ce dont la présence est devenue étrangère.
Babbu [portrait du père] / 2022
Tirage argentique couleur suspendu, 138x170 cm
Tirage argentique couleur suspendu, 138x170 cm
Prighera [prière du père] / 2022
Tirage argentique couleur, 50x70cm, encadré
Tirage argentique couleur, 50x70cm, encadré
Spiglietta [broche du père] / 2024
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré
Cette fois, la sortie de la visibilité est crée dès la prise de vue. Dans un premier temps la décision de protéger ce portrait de mon père de toute figuration, permet de proposer une image en revers de la visibilité de l’archive. L’image existe mais elle n’est pas donnée, elle reste en résistance. C’est le cas aussi pour la deuxième image, une prière contre l’ochju écrite par mon père et transmissible seulement durant la veillée de Noël, et rendre visible cette prière en désactiverait la puissance. Et enfin, une broche issue de la broche de mon père reproduite pur chacun de ses enfants, qu’il a lui même hérité de sa mère.
C’est donc la question de la résistance par dissimulation comme intensification qui se présente ici, avec la fameuse question de la latence de l’Aléthéia de Heidegger, mais aussi de la dissimulation secrète qui donne à l’hérédité une puissance active.
C’est donc la question de la résistance par dissimulation comme intensification qui se présente ici, avec la fameuse question de la latence de l’Aléthéia de Heidegger, mais aussi de la dissimulation secrète qui donne à l’hérédité une puissance active.
Tirage argentique 30x40cm
Retournant vers la maison de Palaghjolu, en indivision depuis l’abandon des propriétaires dans les années 70, je découvre cette image pieuse du même saint que l’on prie pour l’orazione, les scapulaires. Cette découverte opère alors à retournement de situation : l’image pieuse, abandonnée, germait dans la maison inhabitée. Je la photographie donc à la chambre 4x5 inches, et je relance sa visibilité dans un nouveau mode de circulation, d’une image pourtant déchargée de sa puissance religieuse, mais cette fois chargée d’une présence mémorielle : une surface qui a accueuilli les différents rites de la famille de Palaghjolu avant d’être laissée sur place.
Tumëtta/ 2023
Briques de cire de d’abeille, papier cuisson et ruban adhésif, environ 54 x 70 x 35mm, 423 grammes l’une.
(images génératives de préparation)
Tumëtta (pugliese, dialecte du Salento) : masse compacte , souvent arrondie, de cire et de miel résiduel, dont le nom la désigne comme une variété de fromage.
Liant l’héritage entre l‘Eyphah hebraïque et l’imago latine que portaient les Boti disparus de la Santa Annunziata ainsi qu’une grande partie de l’héritage votif et résurectionnel du christiannisme, je décide de substituer à cette archive familiale qui doit rester dans le placard (le fameux atrium) un ensemble de briques de cire, qui ne fait plus icône mais seulement figure de poids. Cela me permet de questionner l’adhérence des croyances que portent l’image dans l’art contemporain, notamment issues de l’économie trinitaire, mais également les liens entre cire et résurrection avec la légende de la création du brocciu par la légende la Sybille (Max Caisson) dont a ciaba (le résidu du brocciu) pourrait donner une cire magique. Car la culture corse reste une culture de la cire : à la fois de l’imago, porté par les très nombreux restes du culte des morts porté depuis le mésolithique ; que celui de l’intensification pieuse basé sur un croisement pagano-chrétiens entre religion catholique et restes chamaniques que témoignent la pensée mazzerique et l’ochju. L’archive perd ici sa forme, son contenu direct qui pourtant l’opacifie, pour interroger sa substance et son poids, le reste informel de cette masse qui nous arrive et qui emplie le monde de visibilités. La cire en brique devient ici une intensification, déplaçable, reproductible, convertible.
Briques de cire de d’abeille, papier cuisson et ruban adhésif, environ 54 x 70 x 35mm, 423 grammes l’une.
(images génératives de préparation)
Tumëtta (pugliese, dialecte du Salento) : masse compacte , souvent arrondie, de cire et de miel résiduel, dont le nom la désigne comme une variété de fromage.
Liant l’héritage entre l‘Eyphah hebraïque et l’imago latine que portaient les Boti disparus de la Santa Annunziata ainsi qu’une grande partie de l’héritage votif et résurectionnel du christiannisme, je décide de substituer à cette archive familiale qui doit rester dans le placard (le fameux atrium) un ensemble de briques de cire, qui ne fait plus icône mais seulement figure de poids. Cela me permet de questionner l’adhérence des croyances que portent l’image dans l’art contemporain, notamment issues de l’économie trinitaire, mais également les liens entre cire et résurrection avec la légende de la création du brocciu par la légende la Sybille (Max Caisson) dont a ciaba (le résidu du brocciu) pourrait donner une cire magique. Car la culture corse reste une culture de la cire : à la fois de l’imago, porté par les très nombreux restes du culte des morts porté depuis le mésolithique ; que celui de l’intensification pieuse basé sur un croisement pagano-chrétiens entre religion catholique et restes chamaniques que témoignent la pensée mazzerique et l’ochju. L’archive perd ici sa forme, son contenu direct qui pourtant l’opacifie, pour interroger sa substance et son poids, le reste informel de cette masse qui nous arrive et qui emplie le monde de visibilités. La cire en brique devient ici une intensification, déplaçable, reproductible, convertible.
01079G561010 / 2024
Polaroïd SX-70 numéroté, date de prise de vue inconnue, archive de Georges Santarelli, 8,8 x 10,7 cm, 2024
Encadrement bois 24 x 30 cm, passe-partout sur mesure
Polaroïd SX-70 numéroté, date de prise de vue inconnue, archive de Georges Santarelli, 8,8 x 10,7 cm, 2024
Encadrement bois 24 x 30 cm, passe-partout sur mesure
La question de l’invisibilisation abouti avec cette pièce, un polaroid SX-70 qui a échoué à l’imagement. Cet instantané, procédé précieux par excellence, non reproductible et très instable chimiquement, acquiert alors, par son opacité totale, une éloquence quant au devenir de nos archives. Par sa réserve, par la décharge de son contenu, elle devient une forme de tout-archive, une pièce formée d’un geste échoué plutôt qu’une image représentative d’un accord entre temps et espace.
Vidéos sur télévision cathodiques et socles, distance constante de 20 cm entre chaque téléviseur.
Archives filmées du village de Granaccia, entre 1960 et 1970, réalisée par la famille Leandri.
7 minutes 06, 16 minutes 42, 9 minutes 42
Archives filmées du village de Granaccia, entre 1960 et 1970, réalisée par la famille Leandri.
7 minutes 06, 16 minutes 42, 9 minutes 42
Ces films sont la constatation de l’échec de l’archive : dans ma tentative de résolution, de conservation, de résurrection, face à ce film en super 8 de 17 minutes muet, suivi d’un autre film reproduit sur télévision. Cette projection se charge un silence d’autant plus pesant que, malgré ce flots d’images, moi-même, de mon village, je ne reconnais plus que quelques visages. Ainsi s’accomplit la fatalité de l’archive face à une résolution impossible, mais dont pourtant on emplit le monde encore et encore. Et enfin, cette dernière image, nous mettant face à la folklorisation de l’histoire. Ainsi s’achève ce projet de croisement des regards. Et ainsi s’accomplit la hantise de l’archive