L’atrium
« Il en allait autrement chez nos ancêtres (aliter apud maiores) : dans les atriums on exposait un genre d'effigies, destinées à être contemplées : non pas des statues dues à des artistes étrangers (non signa externorum artificum) ni des bronzes ou des marbres, mais des masques moulés en cire (expressi cera uultus), qui étaient rangés chacun dans une niche : on avait ainsi des images (imagines) pour faire cortège aux convois de famille et toujours, quand il mourait quelqu'un, était présente la foule entière de ses parents disparus; et les branches de l'arbre généalogique couraient en tous sens, avec leurs ramifications linéaires, jusqu'à ces images peintes (imagines pictas). »
Pline L'ancien
« […] le cadavre est par excellence ce qui a la même figure, la même ressemblance. C'est si vrai que chez les Romains le mort s'identifie avec l'image, est l'imago par excellence et, vice versa, l'imago est avant tout l'image du mort (les imagines étaient les masques de cire de l'ancêtre que les patriciens romains conservaient dans les vestibules de leur maison). Selon un système de croyances qui caractérise les rituels funèbres de nombreux peuples, le premier effet de la mort est de transformer le mort en fantasme (la larva des Latins, l'eidolon et le fasma des Grecs), c'est-à- dire un être vague et menaçant qui reste dans le monde des vivants et retourne sur les lieux fréquentés par le défunt. L'objet des rites funéraires est justement de transformer cet être embarrassant et menaçant - qui n'est autre que l'image du mort, sa ressemblance qui obsessionnellement revient — en un ancêtre, autrement dit en une image, mais bénéfique et séparée du monde des vivants. »
Giorgio Agamben
L’atrium
Texte typographié, 21 x 52 cm, 2024
L’imagines
Tirage C-Print, format variable (taille du support / mur / cimaise sur lequel il repose), 2024
Revenant à des questionnements autour de la photographie, cet ensemble prend pour point de départ la maison de Palaghjolu où vivait une partie de ma famille, maison que je n’ai connu que par l’absence des corps qui l’ont fréquentés. Alors, pour espérer les “retrouver”, traverser 50 ans d’absence, j’ai dû passer par l’épreuve de l’image, et pour cela mon père a sorti un double portrait de la boîte de biscuit léguée par sa mère qu’il garde dans son placard, son atrium. Mais l’image, loin de m’aider, n’a fait que rajouter, finalement, une couche d’opacité supplémentaire, m’éloignant de cette recherche d’indice. Pourtant, ce serait nier la charge contenue dans cette boîte en métal qui a traversé le siècle, et porte en elle toute la mémoire photographique que possède mon père.
Mais la voilà qui à la fois devient porteuse d’une hantise : celle de la disparition de la lecture. Et une fois que je décide de la photographier, cette boîte, voici que la pellicule se voile. Peut-être que le poids importe plus que l’optique dans la trace, dans l’empreinte.U une résistance par la lumière s’opère, l’image se voile, sûrement dû à une erreur de manipulation. Mais hérité des croyances magico-religieuses, ce voile devient signe, cette dissimulation de la lumière par une surchage permet le surgissement d’une forme de défense du visible. Ce lien entre photographie et mémoire m’oriente alors vers la question de la spectralité : la réminiscence de ce dont la présence est devenue étrangère.
Tirage C-Print, format variable (taille du support / mur / cimaise sur lequel il repose), 2024
Revenant à des questionnements autour de la photographie, cet ensemble prend pour point de départ la maison de Palaghjolu où vivait une partie de ma famille, maison que je n’ai connu que par l’absence des corps qui l’ont fréquentés. Alors, pour espérer les “retrouver”, traverser 50 ans d’absence, j’ai dû passer par l’épreuve de l’image, et pour cela mon père a sorti un double portrait de la boîte de biscuit léguée par sa mère qu’il garde dans son placard, son atrium. Mais l’image, loin de m’aider, n’a fait que rajouter, finalement, une couche d’opacité supplémentaire, m’éloignant de cette recherche d’indice. Pourtant, ce serait nier la charge contenue dans cette boîte en métal qui a traversé le siècle, et porte en elle toute la mémoire photographique que possède mon père.
Mais la voilà qui à la fois devient porteuse d’une hantise : celle de la disparition de la lecture. Et une fois que je décide de la photographier, cette boîte, voici que la pellicule se voile. Peut-être que le poids importe plus que l’optique dans la trace, dans l’empreinte.U une résistance par la lumière s’opère, l’image se voile, sûrement dû à une erreur de manipulation. Mais hérité des croyances magico-religieuses, ce voile devient signe, cette dissimulation de la lumière par une surchage permet le surgissement d’une forme de défense du visible. Ce lien entre photographie et mémoire m’oriente alors vers la question de la spectralité : la réminiscence de ce dont la présence est devenue étrangère.
Babbu [portrait du père]
Tirage argentique couleur suspendu, 138x170 cm, 2022
Tirage argentique couleur suspendu, 138x170 cm, 2022
Prighera [prière du père]
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré, 2022
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré, 2022
Spiglietta [broche du père]
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré, 2022
Tirage argentique couleur,50x70cm, encadré, 2022
Cette fois, la sortie de la visibilité est crée dès la prise de vue. Dans un premier temps la décision de protéger ce portrait de mon père de toute figuration, permet de proposer une image en revers de la visibilité de l’archive. L’image existe mais elle n’est pas donnée, elle reste en résistance. C’est le cas aussi pour la deuxième image, une prière contre l’ochju écrite par mon père et transmissible seulement durant la veillée de Noël, et rendre visible cette prière en désactiverait la puissance. Et enfin, une broche issue de la broche de mon père reproduite pur chacun de ses enfants, qu’il a lui même hérité de sa mère.
C’est donc la question de la résistance par dissimulation comme intensification qui se présente ici, avec la fameuse question de la latence de l’Aléthéia de Heidegger, mais aussi de la dissimulation secrète qui donne à l’hérédité une puissance active.
Sant’Antoniu di Paduva (Palaghjolu)
Tirage argentique, 30x40cm, encadré
Retournant vers la maison de Palaghjolu, en indivision depuis l’abandon des propriétaires dans les années 70, je découvre cette image pieuse du même saint que l’on prie pour l’orazione, les scapulaires. Cette découverte opère alors à retournement de situation : l’image pieuse, abandonnée, germait dans la maison inhabitée. Je la photographie donc à la chambre 4x5 inches, et je relance sa visibilité dans un nouveau mode de circulation, d’une image pourtant déchargée de sa puissance religieuse, mais cette fois chargée d’une présence mémorielle : une surface qui a accueuilli les différents rites de la famille de Palaghjolu avant d’être laissée sur place.
01079G56101Ò
Polaroïd SX-70 numéroté, date de prise de vue inconnue, archive de Georges Santarelli, 8,8 x 10,7 cm, 2024
La question de l’invisibilisation abouti avec cette pièce, un polaroid SX-70 qui a échoué à l’imagement. Cet instantané, procédé précieux par excellence, non reproductible et très instable chimiquement, acquiert alors, par son opacité totale, une éloquence quant au devenir de nos archives. Par sa réserve, par la décharge de son contenu, elle devient une forme de tout-archive, une pièce formée d’un geste échoué plutôt qu’une image représentative d’un accord entre temps et espace.