L’orazione
“Pendant sur le cou du castratu ou cousue sur la poitrine, un’orazione. Parfois une parole fixée sur le métal, rarement un piment ou une corne d’abondance, de corail et d’argent, une magnétite. La minéralité suppléant le corps, ces pierres que nous portons sur nous comme talisman, une pratique transmise depuis les phylactères antiques. Chez moi, c’est une prière ou une image cachée de toute lecture. Pour devenir orazione, elle doit s’extraire du visible : elle prend sa forme dans la définition d’une enveloppe par le curé qui, après l’avoir enfermée dans l’église le jour de la Saint Antoine, en fait un contenu sacré. Par ce hors-temps, elle est une corne qui n’est plus corne, une bourse qui n’est plus une bourse, un châssis qui n’est plus châssis. C’est bien de cette fermentation à part dans l’obscurité, dans son entre-soi, que fleurit la prière : dans le secret, l’enveloppe agit désormais comme un espace sanctifié, comme le Christ dans son tombeau. La puissance par la sortie du profane, come l’orsu pietatu in a criatura : en-n’étant-pas, elle est. Mais dans cette nouvelle condition, la bénédiction interdit l’exposition : malheur à celui qui trahissait sa dissimulation sacrée. Voilà peut-être ma relation à l’image argentique : par sa latence manifeste, la potentialité sacerdotale de l’image […].”
Extrait du texte Orazione
“Tu auras un poids ('Eben) exact et juste, tu auras un épha exact et juste, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne.”
Deutéronome
L’Orazione
Texte typographié, 21 x 52 cm, 2024
Orazione
Ensemble de 100 plans films 4x5 inches latents, 100 châssis en fer blanc suspendus.
15,1 x 10,8 x 1 cm, 83 grammes par boîtes, 2024
(99 latentes, 1 voilée)
Ensemble de 100 plans films 4x5 inches latents, 100 châssis en fer blanc suspendus.
15,1 x 10,8 x 1 cm, 83 grammes par boîtes, 2024
(99 latentes, 1 voilée)
1. Piazza di a Ghjesgia è Taranchedda. — GRANACCIA. — Forconceddu
100 cartes postales numérotées, impression laser, 10x15 cm, 2024
Première carte postale du village de Granaccia tirée à 100 exemplaires (protocole de distribution à venir).
Les villages d’Aghjone, Azzana, Bilia, Campi, Cardu-Torghja, Chisà, Foce-Bilzese, Ghjunchetu, Grossa, Lanu, Mansu, Mazzola, Monaccia d'Audde, Monaccia d'Orezza, Montegrossu, Olcani, Pastricciola, Penta Acquatella, Piazzale, Rezza, Sampolu, San Damianu, Sarra di Farru, Sarra di Fiumorbu, Scata, Scolca, Tarranu, Vallecale n’ont également par eu leur reproduction en carte postale.
Ce projet est un travaille autour de la mémoire du village de Granaccia, notamment de ma lignée au sein de la famille Leandri, interrogeant la question de l’archive, de son poids, de sa place dans une culture à héritage judéo-chrétien pourtant porté par des croyances magiques encore très fortes.
Comment questionner la circulation des visibilités dans une région dont l’image a trouvée une de ses premières importances historiques dans la carte postale, destinée autant au voyageur qu’à la diaspora à laquelle on écrit, jouant comme une activation à distance du territoire. Mettre en lien cette visibilité itinérante avec la question de la colonisation nous met face à un dilemme : est-ce que montrer, c’est déjà coloniser ou du moins y participer ?
Le village de Granaccia n’a jamais eu sa carte postale, pourtant n’échappe pas à l’actualité immobilière. Utilisant le principe de l’orazione et de l’histoire de l’art, réutilisant parfois des images issues d’autres séries pour interroger mon propre fond, je questionne les glissement de croyances, les registres d’intensité qu’à acquis l’image en même temps que se commence à disparaître les rites magiques et pieux, et vit dans l’image sous le nom d’aura. Je reprends donc le principe de l’orazione, un scapulaire destiné à protéger le/la porteur.se, réalisé durant a Sant’Antone di e chjarisge (Saint Antoine de Padoue). Quiconque ouvrait le contenant (une corne, une bourse, une plaque de métal) afin de découvrir le contenu (un objet béni, une prière, un charbon, …) maudissait l’être protégé.
Par ce premier geste comparé, il s’agit de reprendre contrôle de la visibilité du village de Granaccia, qui bien qu’il n’ait jamais eu sa carte postale, n’échappe pourtant pas à l’actualité immobilière. Cependant, loin d’en faire une visibilité circulante, j’en fais une mémoire fermentée, à l’abri du regard et de la lumière qui agit alors comme une protection à cet historique du contrôle. Par ce geste centré autour du principe de la latence comme puissance, je questionne en même temps les glissement de croyances, les registres d’intensité qu’à acquis l’image en même temps que commencent à disparaître les rites magiques et pieux au XIXème siècle, et pourtant revivent dans l’image que l’on peut décéler sous le concept d’aura.
Aux 100 orazione répondent 100 cartes postales, et ainsi commence ce projet.